" Au fil des heures, des jours, des semaines, des saisons, tu te déprends de tout, tu te détaches de tout. Tu découvres, avec presque, parfois, une sorte d'ivresse, que tu es libre, que rien ne te pèse, ne te plaît ni ne te déplaît. Tu trouves, dans cette vie sans usure et sans autre frémissement que ces instants suspendus que te procurent les cartes ou certains bruits, certains spectacles que tu te donnes, un bonheur presque parfait, fascinant, parfois gonflé d'émotions nouvelles. Tu connais un repos total, tu es, à chaque instant, épargné, protégé. Tu vis dans une bienheureuse parenthèse, dans un vide plein de promesses et dont tu n'attends rien. Tu es invisible, limpide, transparent. Tu n'existes plus : suite des heures, suite des jours, le passage des saisons, l'écoulement du temps, tu survis, sans gaieté et sans tristesse, sans avenir et sans passé, comme ça, simplement, évidemment, comme une goutte d'eau qui perle au robinet d'un poste d'eau sur un palier, comme six chaussettes trempées dans une bassine de matière plastique rose, comme une mouche ou comme une huître, comme une vache, comme un escargot, comme un enfant... "

Georges Perec - Un Homme qui dort.


"Reconnaître deux sortes de possible: le possible diurne et le possible prohibé. Rendre, s'il se peut, le premier l'égal du second; les mettre sur la voix royale du fascinant impossible, degré le plus haut du compréhensible."

René Char - Partage formel.


"Pourquoi l'amour est-il mystérieux (mystérieux veut dire mystique et mystique veut dire silencieux), ineffable, indicible, inexprimable sous peine de mourir? Pourquoi la nuit sans sommeil forme-t-elle la tanière mystique de ce silence? "

Pascal Quignard -Vie secrète.


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Elle vous fit remarquer le motif qui ornait le papier peint de la chambre, pourtant attribuée au hasard par le réceptionniste; mais vous ne parvenez plus à vous remémorer ce détail. Il vous échappe dès que vous êtes sur le point de vous en saisir, comme un mot sur le bout de la langue. Désormais cela vous obsède et revêt la plus haute importance. Dans l'espoir de le retrouver , vous avez refait à pied le trajet emprunté ce jour là , jusqu'à l'entrée de l'hôtel situé près de la Sorbonne, sans toutefois oser entrer et demander à voir la chambre. 
Rien n'y fait: l'indice se dérobe. 
Ce maillon manquant jette un trouble sur le déroulement des évènements en venant s'ajouter à une longue liste d'imprécisions dont il constitue peut-être le point de départ. Votre vie est ainsi jalonnée de moments précieux qui demeurent hors de portée. Vous finissez par douter qu'ils aient jamais existé. Ces lacunes composent l'archipel de vos disparues, ensemble d'approximations coupables dont la surface s'étend comme une tache d'encre sur le buvard. 
Parfois le fil du récit vous revient par fragments. Vous les juxtaposez, en marge de la mémoire, mais toujours sans images. 
Sans doute aimiez-vous cette femme aveuglément. 
 
S'agissait-il de fleurs ou bien de Cupidons décochant leur flèche?
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