" Au fil des heures, des jours, des semaines, des saisons, tu te déprends de tout, tu te détaches de tout. Tu découvres, avec presque, parfois, une sorte d'ivresse, que tu es libre, que rien ne te pèse, ne te plaît ni ne te déplaît. Tu trouves, dans cette vie sans usure et sans autre frémissement que ces instants suspendus que te procurent les cartes ou certains bruits, certains spectacles que tu te donnes, un bonheur presque parfait, fascinant, parfois gonflé d'émotions nouvelles. Tu connais un repos total, tu es, à chaque instant, épargné, protégé. Tu vis dans une bienheureuse parenthèse, dans un vide plein de promesses et dont tu n'attends rien. Tu es invisible, limpide, transparent. Tu n'existes plus : suite des heures, suite des jours, le passage des saisons, l'écoulement du temps, tu survis, sans gaieté et sans tristesse, sans avenir et sans passé, comme ça, simplement, évidemment, comme une goutte d'eau qui perle au robinet d'un poste d'eau sur un palier, comme six chaussettes trempées dans une bassine de matière plastique rose, comme une mouche ou comme une huître, comme une vache, comme un escargot, comme un enfant... "

Georges Perec - Un Homme qui dort.


"Reconnaître deux sortes de possible: le possible diurne et le possible prohibé. Rendre, s'il se peut, le premier l'égal du second; les mettre sur la voix royale du fascinant impossible, degré le plus haut du compréhensible."

René Char - Partage formel.


"Pourquoi l'amour est-il mystérieux (mystérieux veut dire mystique et mystique veut dire silencieux), ineffable, indicible, inexprimable sous peine de mourir? Pourquoi la nuit sans sommeil forme-t-elle la tanière mystique de ce silence? "

Pascal Quignard -Vie secrète.


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Dès le début du spectacle, l'une des danseuses africaines perdit le bandeau jaune qui retenait ses cheveux. 
A partir de cet instant je n'ai plus regardé que cela: cet éclat de soleil tombé dans un coin sombre de la scène. La danseuse aurait pu le reprendre dans un geste si gracieux et naturel qu'il serait passé inaperçu. Un régisseur habillé de noir aurait pu le faire disparaître en se faufilant habilement entre deux mouvements de projecteurs. Mais personne ne broncha tant le morceau d'étoffe semblait négligeable aux yeux de tous alors qu'il devint pour moi le centre du spectacle, le point où se focalisait toute mon attention, là ou sans aucun doute allait se produire quelque chose d'extraordinaire que personne n'aurait vu venir.
Mon émotion allait croissante tandis que les spectateurs suivaient des yeux la troupe qui évoluait maintenant une autre partie du plateau, mais je me gardais bien d'en trahir la moindre manifestation afin de garder pour moi seul la primeur de l'événement dont le bandeau jaune serait sans aucun doute  l'origine et la genèse.
Finalement rien ne se passa, pour cette fois.
Mais il s'en était fallu de peu.
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